Promenade de santé

Je n’ai jamais passé autant d’heures dans mon potager que durant cette période de confinement. J’en ai fait un vrai petit jardin de curé avec des senteurs bien religieuses comme celle du buis dont on coupe les rameaux pour le dimanche du même nom. Le mien est taillé en boule, j’adore le caresser et le respirer quand je passe à côté. À chaque fois, je croise les doigts et vérifie s’il est bien intact au coeur de ses branches. Il a échappé jusqu’à ce jour aux attaques de la diabolique pyrale. Je le surveille en permanence et n’hésite pas à pulvériser non pas de l’eau bénite mais de la « piréthrinoïde » qui zigouille la vorace chenille verte, la redoutable vampire des buis.

Quand je dis jardin de curé, je devrais plutôt dire jardin monastique, ces magnifiques potagers à but thérapeutique que l’on trouvait au moyen-âge dans les monastères dont les Pères, Frères, Mères et Sœurs avaient continué à pratiquer et enrichir la culture des plantes médicinales, la « pharmacopée végétale », développée au temps de la Rome classique. Durant des siècles, les religieux et religieuses ont soigné leurs contemporains dans leurs Hôtels-Dieu à l’aide de remèdes à base de plantes.

On trouve encore de nombreux jardins médicinaux aujourd’hui. Quelques anciens et pas mal de nouveaux, notamment pour les végétariens et les végans.

Un des plus beaux et des plus vieux est celui du Couvent-Hôpital Notre Dame à la Rose à Lessines, un site exceptionnel datant du 13e siècle, où l’on peut visiter un étonnant musée consacré à l’histoire de la médecine ainsi qu’un fabuleux jardin de plantes thérapeutiques. J’ai visité ce lieu il y a deux ans avec mon petit-fils Maxime qui a adoré ! Même pas peur devant la collection d’ustensiles chirurgicaux barbares d’autrefois qui feraient passer la fraise du dentiste moderne pour un petit joujou inoffensif. Dans la bibliothèque, Max s’arrêtait à chaque vitrine devant les vieux livres dont les illustrations sanguinolentes détaillaient avec réalisme le perçage des bubons des pestiférés, le traitement des maladies vénériennes ou les techniques pour réparer les crânes fendus par les épées, troués par les flèches ou fracassés par les lances.

« Euh… t’aimes ce genre de livres, Maxime ? » lui demandais-je. – « Oui, c’est trop bien, j’adore les livres qui font peur … c’est plus intéressant que les histoires gentilles » me répondait-il sans lever les yeux de ces pages horribles. Ces gros bouquins m’ont appris qu’à l’époque, seulement quatre grands types d’humeurs (catégories médicales) déterminaient le genre de soins que l’on vous prodiguait : il y avait les bilieux (dont j’aurais fait partie sans aucun doute), les flegmatiques, les sanguins et les mélancoliques.

Après ce voyage au bout de l’enfer médical du temps passé, nous nous sommes rendus au remarquable jardin médicinal où j’ai pris quelques leçons pour mon modeste potager.

C’est ainsi que chez moi, aujourd’hui, on trouve bien en évidence une grosse plante de sauge toujours prête à calmer mes maux de gorge, moi qui suis hyper-sensible aux pharyngites et angines. Dans mes pelouses qui n’ont rien du gazon anglais, je laisse pousser le plantain que d’aucuns considèrent comme un indésirable alors qu’en infusion avec du thym, il apaise lui aussi ma gorge irritée et que ses feuilles frottées sur la peau calment le feu des piqûres d’insectes en été.

Je cultive également, bien entendu, la plupart des légumes classiques. Comme le fenouil qui traite les problèmes de flatulences (oui, il faut penser à tout). Les panais et les carottes riches en énergie multiple, manganèse, magnésium, phosphore, potassium et zinc (les carottes, les lapins, l’énergie… ça va, vous faites le lien ?). Des choux et des betteraves rouges, bons nettoyeurs du sang et du foie (parfois, certains lendemains, j’en ai besoin). Des céleris raves et branches, excellents diurétiques, grands amis de ma prostate. Des haricots pour lutter contre l’arthrose, j’en emporte une poignée dans mon sac de tennis prêts à croquer crus quand j’ai mal aux articulations. Des salades et laitues diverses parce que c’est bon pour tout, de la vésicule aux intestins, de la peau aux cheveux (euh… aux cheveux ? ah bon ? je devrais en manger plus alors !). Et puis du thym, du romarin, du laurier, de l’ail, des oignons, des radis, du cresson, de la ciboulette, de l’estragon, du basilic, des patates … etc.

Que de voyages-santé dans mon potager depuis le début du confinement : chaque matin – on doit être aux environs du cinquantième, non ? – j’y passe une heure ou deux à ratisser, biner, semer, planter, arroser… comme le chante Henri Salvador, le travail c’est la santé.

Mais se tourner les pouces et bailler aux corneilles, ça fait du bien aussi. Je dépose souvent la bêche et le râteau pour rêver, assis sur le banc à l’ombre du poirier. Je voyage alors mentalement d’un jardin à l’autre, en particulier celui que je préfère, le Jardin Médiéval d’Uzès dans le Gard où l’on trouve dans un décor de carte postale, en plus des plantes médicinales, des légumes et fruits d’époque dont on peut savourer sur place de délicieux cocktails. Je me balade aussi en pensée dans les petites allées entre les carrés du Jardin des plantes médicinales d’Orval reconstitué à l’identique de l’ancien « courtil » créé au 18e siècle par un moine-jardinier qui cultivait ses plantes en « carreaux » thématiques isolés les uns des autres par des clôtures basses : les urinaires, les digestives, les circulatoires, les respiratoires, les neurologiques.

Ce matin, mon rêve fut de courte durée, j’avais du boulot, couper des branches de mes troènes pour en faire des tuteurs et planter des petits pois qui s’y accrocheront. Des petits pois mais pourquoi ? Si j’attrape des problèmes à la cervelle, il paraît qu’ils pourront prendre sa place.

Les deux valises

(Voyage avec Jacques Prévert)

Il a sorti les deux valises

L’orange et la bleue 

Celles qui ont les dimensions

Pour aller dans les cabines

Des avions des vacances

Ou ne pas prendre trop de place

Dans le coffre de la voiture

Il a ouvert la fermeture-éclair

De l’orange, celle de sa femme

Dedans il y avait un livre

Un guide touristique

Avec des photos

De paysages balayés par le vent

De ports à marée basse

De bras de mer à marée haute

De phares, de goélands

De bateaux de pèche

De maisons en pierre

Couvertes de lierre et de glycines

Des photos d’idées

Pour aquarelles

Il a feuilleté le livre

Puis a pris le plumeau

Dépoussiéré la valise

Remis le guide touristique

Et refermé la tirette

Il a ensuite ouvert l’autre valise

La bleue, la sienne

Dedans il y avait un livre

Avec en couverture

Un monsieur à casquette

Cigarette au bec

Qui donnait envie de fumer

Il est descendu dans la cuisine

Pour lire un peu avec un café

Il a mis le café

Dans la tasse

Il a mis le lait

Dans la tasse de café

Il a mis le sucre

Dans le café au lait

Il a tourné les pages

Il a lu des textes par ci, par là

Comme ça, dans le désordre

Il en connaît quelques uns

Quasi par cœur

Mais quand il les relit

C’est toujours la même émotion

Comme la première fois

C’était au Collège

Il entend encore son vieux prof

La voix cassée par le tabac

Il a allumé

Une cigarette

Il a fait des ronds

Avec la fumée

Il a mis les cendres

Dans le cendrier

Posé sur le pupitre

À côté du livre

Qu’il avait ouvert au hasard

Pour lire un texte bizarre

Une sorte d’inventaire

Une pierre

Deux maisons

Trois ruines

Quatre fossoyeurs

Un jardin

Des fleurs

Un raton laveur

Quand la tasse fut vide

Il a refermé le livre

Il a monté l’escalier

Comme dans un rêve

Il grimpait le sentier qui menait

À la maison du poète

À Omonville-la-petite

Où il avait acheté

Ce livre magique

Il s’est alors souvenu

De la photo avec Prévert

Rencontré en chemin

Les oiseaux chantaient dans les arbres

Ne t’occupe pas d’eux

Avait murmuré le poète

Moi je les regarde

Je les laisse faire

Tous les oiseaux font de leur mieux

Ils donnent l’exemple

Arrivé à l’étage

Il a pris le plumeau

Dépoussiéré la valise

Remis le livre dedans

Et refermé la tirette

Il a branché l’aspirateur

Nettoyé le cagibi

Et rangé les deux valises

Jusqu’à un prochain voyage

En vrai ou en

Paroles

Les îles de Gilles

L’objet qui m’embarque ce matin, c’est tout simplement mon portable. Je l’ouvre à peine et zou, il me transporte vers des îles de rêve. Celles de Gilles Paris, un auteur que j’aime beaucoup et que j’ai eu le bonheur de rencontrer à plusieurs reprises.  Depuis le début du confinement dans son petit appartement parisien, il publie chaque jour un ou deux textes de son journal de bord, un partage d’émotions très fortes à chaque fois. Aujourd’hui, son post évoque son amour des îles, ces endroits protégés où l’on se sent en dehors du temps et des contraintes. Un superbe texte de rêve en harmonie totale avec mon modeste blog de balades sur mon sofa. Bonne lecture, bon rêve et poursuivez l’évasion avec les magnifiques livres de Gilles https://www.gillesparis.net/

« Gilles Paris – Jour 45 – post 70

Au 9 avril, selon le site de l’OMS, la planète comptait quelque 1,4 million de personnes touchées par le nouveau coronavirus. Un bilan basé sur les seuls cas confirmés. Au total, 212 pays et territoires – soit la quasi-totalité du monde – déclaraient au moins un cas de Covid-19. A ce jour, les territoires épargnés sont essentiellement situés dans l’océan Pacifique, comme les îles Salomon, Samoa, Vanatu, Tuvalu, Tonga, Kiribati, Wallis-et-Futuna (France). Si l’envie soudaine de refaire votre vie vous tenaille à ce point c’est le moment de préparer vos valises, à condition bien sûr de trouver un vol pour atterrir sur l’une de ces îles. Au-delà de ces petits pays ou territoires, de plus grands Etats se disent épargnés par la pandémie. Difficile à croire, cependant, en raison de leur superficie, mais aussi de leur proximité avec d’autres contrées parfois fortement touchées. Ces pays sont la Corée du Nord, le Turkménistan, le Tadjikistan et les Comores. La encore prudence, la plupart de ces pays paraissent surtout soucieux de cacher la réalité de leur situation sanitaire.

Le virus s’est donc emparé de la quasi-totalité de la planète, ça fait réfléchir. J’ai toujours eu un faible pour les îles. Ces territoires isolés du continent, indépendants, solaires, et rattachés souvent aux territoires pour le ravitaillement et les loisirs. Beaucoup de ces îles m’ont inspirées des nouvelles, à Maurice, en Italie de Stromboli à Lipari, en passant par Ischia et Capri, les Bahamas comme les Maldives. Je me verrai bien dans un certain nombre d’années finir ma vie dans une de ces îles, comme ces retraités béats qui sirotaient des cocktails dans l’eau limpide des Bahamas et que j’ai regardé avec un sourire niais. J’aime l’idée même d’une île, ce rond imparfait qui délimite une sorte d’enfermement et qui me rappelle les manèges ou la musique de Philip Glass. La répétition des balades, ces paysages lunaires, ce dépouillement mental et physique, ou short et T-shirt rythment avec les couchers de soleil crépusculaires. Je me souviens encore de cette émotion, après avoir lu les romans de Michel Tremblay autour de Key-West, de découvrir cette longue route bordée de mer de chaque côté, de cette pension coloniale dissimulée dans les feuillages, et de ce port somptueux ou avaleurs de sabre, et costauds enchaînés se disputent l’allégorie d’un coucher de soleil flamboyant. Je me sens nu dans ces îles, plus léger et insouciant, comme les Cyclades en Grèce ou ce petit village d’Almyrida en Crète. La vie semble suspendue. Éternelle. Le braquage d’une banque, encore, est à l’horizon pour parfaire ce rêve insensé de finir ma vie ailleurs. En attendant je m’en inspire dans mes livres, c’est déjà pas si mal. »

Voyage auprès de mon arbre

La pluie a adouci le sol, j’en profite pour bêcher la terre à deux pas de mon chêne pour préparer un petit parterre qui accueillera bientôt quelques taches rouges, roses et blanches de bégonias.

S’il est un endroit que j’aime particulièrement, c’est bien ici, sous la ramure de mon chêne à trois troncs. J’y trouve calme et sérénité. Une impression d’ailleurs. Un endroit hors du temps, protégé de la réalité, à l’écart du virus qui rôde.

Ce chêne me fait voyager mentalement du côté d’un autre endroit paisible, l’abbaye de Bois-Seigneur-Isaac. Pas loin de chez moi, j’aime aller me promener sous les hêtres de sa drève qualifiée de sublime Verte Cathédrale par Jean-Bernard Bernardini du groupe I Muvrini qui y donna un concert en plein air il y a quelques années. Ce souvenir fait soudain bondir mon esprit en Corse, à Vico où se trouve un autre lieu qui comme celui-ci me fait sentir hors du monde, seul avec moi-même, en symbiose et harmonie avec la vie, le couvent Saint-François. Mais comme la douce brise qui danse sous les branches, mes pensées s’envolent à nouveau et me ramènent de Corse vers le troisième endroit qui me comble de bien-être, les cloîtres de ma belle Collégiale de Nivelles.

Mais pourquoi, me direz-vous, ce chêne te fait-il vagabonder spirituellement comme ça ? D’abord, parce qu’il me donne du bonheur simple comme dans la chanson Auprès de mon arbre. Et puis tout simplement parce que mon arbre est originaire d’Ophain-Bois-Seigneur-Isaac, né dans une carrière de sable à quelques centaines de mètres de l’abbaye. Quand j’ai commencé à planter des arbres dans la prairie où nous avons construit notre maison, j’ai glané à gauche et à droite des jeunes pousses d’essences indigènes. Des saules et des bouleaux provenant des talus de la voie ferrée qui traverse mon village, des noisetiers des bords des chemins de campagne et ce chêne à trois troncs, alors haut comme trois pommes, déniché par hasard dans cette carrière que je longeais chaque jour en allant travailler. Je me souviens encore quand je l’ai transplanté, il y a plus de quarante ans, j’avais dû creuser un trou assez large et profond pour y enfouir la grosse boule formée par sa très longue racine enroulée comme une bobine de corde. Une fois en terre, l’arbre à trois troncs m’arrivait à la taille et jamais je n’avais imaginé qu’il atteindrait sa taille actuelle d’une quinzaine de mètres. Et encore, j’ai dû le faire étêter à plusieurs reprises; si je l’avais laissé pousser, il aurait plus de trente mètres et la maison de mes voisins aurait été étouffée.

Ce chêne, en me faisant rêver de l’abbaye de Bois-Seigneur-Isaac, me replonge aussi en enfance. Plusieurs fois, j’y suis allé à pied avec la classe de mon école primaire lors de randonnées-pèlerinages et une fois en retraite de trois jours dont… mes fesses se souviennent. En effet, après une partie de foot sur la pelouse fraîchement tondue par les moines, je m’étais laissé tomber à la renverse dans un gros tas d’herbes coupées sans savoir que l’humidité et le manque d’oxygène provoquent de la fermentation et une température jusqu’à 70°…

Ce qui brûle le postérieur et offre des souvenirs de bonheur.

Drève des Hêtres de l’Abbaye de Bois-Seigneur-Isaac – Photo d’Olivier Raucroix
Couvent Saint-François – Vico (Corse)
Cloîtres de la Collégiale de Nivelles (… et mon petit Cyril)

Mon bâton de marcheur

En fait, des bâtons de marcheur, j’en ai deux. Un chrétien, une vieille branche de noisetier décorée aux couleurs bleu-blanc-rose de Nivelles, ma ville natale, qui m’accompagne chaque année à l’automne pour le Tour de Sainte-Gertrude, un pèlerinage que je ne raterais pour rien au monde. Au bout d’une quinzaine de kilomètres dans les campagnes et labourés, quand le Tour s’achève sur la Grand-Place de la ville, on grave au canif un cran dans ce bâton et j’en suis à mon 56ème. C’est mon bâton de pèlerin (voir mon billet du 28/09/2018). Mon deuxième bâton est une solide branche de bouleau de mon jardin. Un jour, au retour d’un voyage à Fez au Maroc, je l’ai décoré de motifs africains, de dromadaires, serpents et girafes pyrogravés. Pourquoi ? Euh… pourquoi pas ? C’est mon bâton de mécréant, de maréchal, de sorcier, de randonneur. Il traîne dans un coin de mon garage et je l’emporte au gré de mes envies de balades.

Je l’examine par hasard aujourd’hui et je détaille ses nombreux dessins. Ils me font rêver. Ce bâton m’a déjà accompagné dans quelques belles randonnées dans les Ardennes, en Normandie, dans le Périgord, dans le Gard, au Grand-Duché de Luxembourg, en Alsace, … mon esprit vagabonde avec lui d’un pique-nique en bord de Semois à une bière sur une berge de Moselle, d’une terrasse ombragée de Dordogne à la fontaine d’Uzès. Je rêve, je rêve assis dans mon living mais à travers la vitre, le soleil m’appelle. Et si je partais sur les chemins de campagne de Pont-à-Celles, ma commune, avec mon bâton ? Aussitôt dit, aussitôt fait. J’ai emprunté des sentiers que je ne connaissais pas, du côté de Buzet, et après avoir quitté les coins habités, j’ai fait quelques rencontres. Des belles mais pas que, des tristes aussi.

J’ai d’abord vu un coquelicot solitaire. Le seul sur mes 6 km de balade, c’est peu alors qu’il me semble qu’avant les talus en étaient couverts. Mais nous ne sommes qu’au début de la saison.

J’ai vu ensuite deux papillons blancs – deux âmes humaines réincarnées paraît-il – qui fricotaient dans les bouquets de roquette sauvage.

Plus loin, dans un chemin embusqué, j’ai été surpris par une chouette qui m’a suivi d’arbre en arbre pendant au moins 200 mètres, j’ai tenté de la photographier mais elle ne s’est pas laissé tirer le portrait comme je l’aurais souhaité.

Arrivé en rase campagne où l’on pourrait croire que jamais rien ne se passe, j’ai vu un couple assassiné, deux renards morts de mort violente parce qu’ils avaient croisé un fusil ou une boulette empoisonnée. C’est triste deux vies anéanties sous un ciel sans nuages livrées aux mouches. Mais les alouettes des champs n’en ont rien à secouer, elles grisollent, tirelirent et turluttent tout là-haut.

Je continue ma randonnée et m’agenouille sur le chemin à la sortie du champ pour admirer les jolies couleurs d’une Vanesse du chardon (je crois) qu’on appelle aussi Belle-dame mais méfiante, elle s’envole très vite.

Je marche, je marche encore et laisse le vent léger me caresser le visage. Il ne souffle pas très fort mais assez cependant pour semer à tout vent les akènes des pissenlits qui poussent en pagaille sur les talus. Les quoi ? Les akènes ou fruits secs indéhiscents, à une seule graine… (définition Larousse, bien sûr). Je serai assez rapide toutefois pour saisir un pissenlit intact juste avant que les siens ne soient soufflés.

Au terme de ce magnifique chemin de campagne, un panneau me ramène à la réalité, la maison et le confinement. Je serre mon bâton et le remercie de m’avoir invité à cette promenade bien réelle, loin de mon sofa.

Mon bâton pyrogravé
Coquelicot solitaire
Duo de papillons blancs
Envol de chouette
Couple de renards morts
Vanesse du chardon ou Belle-dame
Pissenlit et ses akènes
Mon bled

Captain Max

Attention, garde bien le cap, on va croiser une péniche et les remous vont agiter la surface de l’eau, si tu restes bien concentré, tout va bien se passer…

Maxime est à la barre, à ses côtés le commandant le conseille en toute sécurité. Nous croisons la péniche sur la Sambre en douceur avant d’arriver à la confluence avec la Meuse que nous suivrons jusqu’au pied de la Citadelle de Namur.

Nous sommes à bord d’une Namourette, une petite baleinière rétro qui fait office de navette estivale reliant Jambes à Salzinnes en passant par Namur. Nous sommes en croisière, Mamie, Papi et nos trois petits fils. Le commandant de bord a confié la barre à Maxime, les deux cousins râlent un peu car il auraient bien voulu aussi mais le commandant a choisi le plus calme des trois, les autres auront leur tour tout à l’heure s’ils sont sages et écoutent bien ses explications touristiques. « Nous passons maintenant devant L’Élysette siège du gouvernement wallon, bâtiment qui fut édifié en 1877 par… », Cyril et Awen ne sont pas très intéressés par la leçon d’histoire, ils concentrent leur attention sur le capitaine qui pilote l’embarcation avec une grande maîtrise.

Quand nous arriverons au pied de la Citadelle, ils prêteront davantage l’oreille aux nombreuses histoires de guerres et légendes évoquées par le commandant. Et surtout aux missions qu’il leur demandera d’accomplir. Préparer la corde pour l’arrivée, baisser la toile-parasol, réunir les sacs, ranger le pont….

Max, lui, ne bronche pas. Il a la responsabilité de mener notre bateau jusqu’au Pont de l’Évêché où nous avons garé la voiture. Ce qu’il fera sans aucun souci ne rendant la barre au commandant que pour l’accostage. Ses cousins aideront ce dernier à jeter la corde au marinier sur le quai et sauteront sur le ponton pour l’aider (?) à amarrer la navette.

Namur n’est pas très loin de chez nous mais quand je repense à cette croisière d’une après-midi d’été il y a bientôt trois ans, je la revis comme une grande aventure.

En compagnie d’un grand équipage.

Maxime aime les bateaux, pas seulement les piloter mais aussi les peindre à l’aquarelle avec sa Mamie.

Jacinthes en pensées

Du papier grain fin 100% coton, 1 tube de bleu de cobalt foncé, 1 tube de sépia naturelle, 1 tube de jaune primaire, 1 tube de bleu Phralo vert primaire, … Je tape à l’ordinateur la commande que mon aquarelliste me dicte. Comme beaucoup d’artistes, elle est fâchée avec les tâches administratives et les technologies modernes, heureusement elle dispose d’un dévoué secrétaire-homme-de-peine qu’elle paie, rarement, en lui offrant une œuvre qu’elle estime invendable. Après la commande, ce n’est pas fini, je dois scanner pour son dossier les dernières œuvres dont une jolie aquarelle sobrement intitulée « Jacinthes ».

Si vous me lisez régulièrement, vous vous souvenez peut-être qu’au début de ce confinement, j’avais publié Nous n’irons plus au bois, un billet évoquant deux jolis bois de ma région, dont le fameux Bois de Hal dont le sol est couvert en ce moment d’un incroyable et merveilleux tapis de jacinthes violettes que l’on vient admirer des quatre coins du monde.

Nous y allons chaque année, douce balade d’un dimanche d’avril, en respectant scrupuleusement les règles qui obligent de marcher dans les sentiers étroits l’un derrière l’autre. Hier, ce sont d’autres règles qu’il nous fallait respecter: ne pas sortir de chez nous, coronavirus oblige. Nous étions tristes évidemment mais les jacinthes s’en fichent. D’après quelques photos aperçues sur internet, elles s’en donnent à cœur joie, comme toute la nature d’ailleurs, elles poussent, elles fleurissent, elles s’épanouissent sans se poser de questions et faneront d’ici quelques jours, que l’on soit venu les admirer ou non. Je me demande même si elles ne sont pas plus heureuses comme ça, entourées du silence à peine troublé par les gazouillis dans les nids plutôt que par le brouhaha du blabla et des clic-clac des touristes.

Nous n’y sommes donc pas allés. À pied. Seulement en pensées (oh ! chouette hasard des mots, les pensées sur la table de la terrasse sont violettes comme ces jacinthes). Rêver devant elles et cette aquarelle, c’est une balade aussi.

Virtuelle… qui rime avec belle.

Jacinthes – Aquarelle (Marie-Thérèse Ganty)
Pensées
Jacinthe sauvage cueillie dans un chemin de campagne cet après-midi, juste avant d’écrire ce billet.

Le dromadaire d’Awen

Le soleil l’éblouit de lumière et l’enveloppe de chaleur. Je le touche, ses flancs sont brûlants, le double-vitrage de la fenêtre fait office de loupe. Le petit dromadaire en terre cuite se sent bien, il retrouve les sensations de sa Tunisie natale. Moi, quand je pose les yeux sur lui et le prend au creux de mes mains, je revis un des moments les plus forts de ma vie que j’ai certes déjà évoqué dans plusieurs billets mais dont je ne me lasserai jamais.

6 février 2007, 5h00 du matin, il fait encore nuit.

Brieuc, Michel, Catherine, Philippe, Giovanni,… nous sommes une petite équipe de cinéma encore endormie dans le minibus qui nous conduit à l’amphithéâtre d’El Jem en Tunisie. Nous sommes arrivés la veille à Tunis pour une bonne semaine de tournage, nous venons réaliser les prises de vues d’un spot publicitaire pour l’office du tourisme tunisien.

Le froid est vif, le soleil n’est pas encore levé, je me suis recroquevillé dans la position du fœtus sur le siège inconfortable, le roulis du bus me berce d’une langueur monotone.

Soudain mon GSM m’arrache de ma torpeur. Sonnerie de SMS. Je lis sur l’écran : Awen est né… Mon premier petit-fils. Mes yeux se brouillent. 13 ans déjà. Je me souviens du choc comme si c’était hier. Je suis heureux comme on ne peut l’imaginer et à la fois déçu de ne pas être là. J’avais pourtant demandé à ma fille de ne pas accoucher pendant cette semaine qui me tiendrait éloigné du pays, mais vous savez les jeunes d’aujourd’hui n’en font plus qu’à leur tête.

Nous arrivons à El Jem. Le soleil se lève sur l’amphithéâtre et m’éclabousse de bonheur.

La veille du retour, on traînait dans les petites rues de Sidi Bou Saïd, heureux et soulagés d’avoir terminé notre tournage sans encombres et de ramener des images magnifiques à Bruxelles. Moi je suis surtout impatient de faire la connaissance de mon petit gars. En passant devant l’étal d’un artisan-potier, je lui ai acheté un petit dromadaire-souvenir dont j’ai aussitôt caressé la bosse : ne dit-on pas qu’il s’agit d’un geste porte-bonheur ?

Les Fleurs du Bien

Je marche au long de la route et à chaque fois que passe un véhicule, je tremble, c’est dingue comme ils roulent tous à vive allure. Il s’agit de camions de livreurs ou de camionnettes de travailleurs sous pression, les magasins et les personnes confinées attendent impatiemment leurs marchandises.

Sur cette superbe allée de 3 km bordée de tilleuls et traversant des champs de céréales en jeunes pousses, une des plus belles routes de Belgique et je ne dis pas ça parce qu’elle mène à mon village (allez si, un peu quand même), les automobilistes déboulent beaucoup trop vite. Alors que tant de richesses invisibles pour le chauffard envahissent les talus où que l’on pose le regard.

Aujourd’hui, je suis randonneur, j’ai décidé de marcher jusqu’à Rosseignies, le village voisin, où je bifurquerai dans les champs rafraîchis par les éoliennes, ventilateurs géants. Du moins si j’arrive jusque là car la route est longue et je m’arrête tous les dix pas. Non pour me reposer mais pour m’agenouiller, me prosterner, me mettre à plat ventre devant une fleurette ou un brin d’herbe que je veux photographier pour ensuite la collectionner dans mon herbier digital. Pas question de cueillir une fleur sinon son image que je confie à PlantNet, une application géniale téléchargée sur mon iPhone qui permet d’identifier et classer les plantes simplement en les photographiant. Comme je suis loin d’être un botaniste, cela m’aide beaucoup.

Tout en me couchant pour tirer le portrait d’un petit géranium sauvage à feuilles larges que j’ai failli écraser avec mes grosses godasses, je retrouve en pensée mes sentiers de Corse et leurs buissons de myrte, mes chemins du Gard et leurs cystes à fleurs roses ou encore mes pistes de Tunisie sentant bon le jasmin. Jamais auparavant, je ne m’étais aventuré à pied aussi loin sur cette route. Je l’ai empruntée des milliers de fois en voiture, je connais comme ma poche son béton et ses pièges mais rien de ses talus. Aujourd’hui, je découvre.

Je ramènerai de ma longue balade quelques trésors à pétales dans le coffre-fort de mon smartphone. Oh ! rien de rare, pas d’orchidées ni de passiflores de collection mais des fleurs locales qui poussent un peu partout et égaient de leurs couleurs vives les printemps tant désirés après les longues grisailles hivernales. Le Pissenlit dont le nom fait rigoler les enfants, le Colza solitaire échappé de son champ, la discrète Phacélie à feuilles de tanaisie adorée par les abeilles, le Cumin des prés dont le petit nom sympa est Carvi, etc. Mais ma préférée est la toute mimi Véronique filiforme aux pétales blancs et bleus ciel que certains arrachent si elle envahit leur jardin car ils la considèrent comme une mauvaise herbe, une fleur du mal. Les abrutis ! Moi, toutes ces demoiselles de campagne, mes compagnes de randonnées, je les appelle au contraire mes Fleurs du Bien car leur beauté, dirait le poète, rend « l’univers moins hideux et les instants moins lourds » surtout en cette période de confinement*.

*Prenez soin de vous, restez à la maison mais si vous en avez l’occasion ne manquez pas une promenade quotidienne, allez conter fleurette aux fleurs du coin, seul ou à deux en tenant bien vos distances sociales.

Pissenlit

Phacélie à feuilles de tanaisie
Colza
Cumin des prés
Cardamine des prés
Véronique filiforme

Blues sous le cerisier

Munster, Alsace, Noël 2013. Froid de canard, tourbillons de neige, personne dans la rue à part nous deux. Dans leurs nids sur les toits, les cigognes résistent. Moi, je grelotte et j’ai le blues. Nous partirons dès que nous aurons terminé nos courses pour le pique-nique du retour. Je suis triste de rentrer car j’aime beaucoup cet endroit et le vieil hôtel où nous venons depuis quelques années va fermer, les patrons sont trop âgés et n’ont pas trouvé de repreneurs.

Comme d’habitude, Marie-Thérèse traînaille dans les magasins, je la houspille car la route va être longue et périlleuse, la neige s’accumule sur le sol. Elle me demande de patienter encore quelques minutes « j’ai vu un beau plat en céramique », je retourne pour la énième fois dans le coin des cartes postales et des livres-cadeaux, ces bouquins pleins de belles photos et de phrases souvent philosophico-cucul.

Mais… j’en achète un quand même. Il est beau, doré comme une boule de Noël, agréable au toucher et la quatrième de couverture annonce qu’il « s’adresse à chacun d’entre nous qui traversons des moments difficiles… » Cela me parle en ce moment et le titre me touche : Demain est un autre jour (éd. Exley)

Obaix, mon jardin, Pâques 2020. Soleil estival, cerisier en fleurs, pas un bruit sauf quelques mésanges et chardonnerets affairés à la mangeoire. Ils m’emmerdent. Je m’ennuie, j’ai le blues. Autour de moi, le décor est magnifique mais inutile. À quoi bon cette pelouse bien tondue, ce ciel bleu, ces arbres blancs et roses… le jardin est vide. Pas de ballon de foot roulant dans les parterres de tulipes, pas d’œufs en chocolat cachés dans les haies, pas de cris ni de querelles pour un accroche-pied. Oui, j’ai le blues du papi confiné.

Hier circulait sur Facebook un post listant les « points positif » du coronavirus: c’est bien pour l’environnement, pour la solidarité, patati et patata.  Il mentionnait, entre-autres, qu’il rapproche les familles. Ah bon ? Oui, d’accord, il confine les enfants et les parents ensemble (ce qui est heureux pour beaucoup mais pas tous, les violences conjugales et familiales sont, en effet, en hausse) et il éloigne les petits-enfants de leurs grands-parents. Oh ! je sais ce n’est pas le problème le plus grave de cette période difficile et c’est une mesure indispensable pour le bien de tous. Je sais, je sais, mais il y a des jours, aujourd’hui en particulier, où cette séparation est pénible. Pâques, dans beaucoup de familles, c’est la fête des retrouvailles après l’hiver, la chasse aux œufs dans les jardins de campagne des grands-parents pour ceux qui ont la chance d’en avoir, c’est la balade à pieds ou à vélo dans le village, c’est les gâteaux et les bulles de champagne pour les adultes et de cidre pour les gamins.

Cette année, Pâques est tout ça… moins les retrouvailles, les œufs, le vélo, les gâteaux et les bulles. Allez, non, on partagera quand même ma femme et moi quelques chocolats et coupettes. Mais ça n’aura pas le même goût.

Pour effacer ma morosité, j’ai retrouvé le livre, jamais lu mais juste feuilleté, acheté à Munster il y a 6 ans. Et j’y trouvé ces mots réconfortants : « Ça passera comme le reste (…) lorsque les événements sont particulièrement pénibles, voire tragiques, ou lorsque tout va pour le mieux (…) répète en toi-même ces quelques mots. Ils te permettront de remettre les choses à leur place, ils t’aideront à reconnaître ce qui est bon et à supporter ce qui va mal ». (Claire Rayner)

Je ne connais pas cette auteure mais un coup d’œil sur internet m’apprend qu’elle a vécu de 1931 à 2010 et qu’elle fut infirmière, femme de lettres britannique et courriériste du cœur dans de grands journaux londoniens.

Deux mots m’interpellent, « infirmière et cœur« , il n’y a pas de hasard. Je retrouve le moral, cela ira mieux demain. Bon confinement et courage à tous.