J’ouvre la tenture et regarde de l’autre côté de la fenêtre. Tout est blanc. Sauf le ciel. Gris. La neige a tombé toute la nuit. Dehors, il gèle à pierre fendre. Pas une voiture dans la rue. Pas un bruit. Silence glacial.
Oh, non, pas tout à fait. Il y a de l’animation autour de la mangeoire. La gang des moineaux habituelle. Plus deux mésanges charbonnières. Un pinson. Et un je-ne- sais-pas-quoi style moineau ou pinson de couleur pâle, entre jaune et beige comme un poussin délavé ou pas lavé. J’écrirai mon billet ce soir, à l’aise, près du feu ouvert. Pas le temps ce matin, j’ai du boulot, c’est lundi et toujours pas d’aide-ménagère, pas encore remise sur pied, reviendra-t-elle ? D’habitude, la neige me donne du tonus, de l’envie de balade, d’air pur et de joues rouges mais là, elle aurait plutôt tendance à me déprimer. C’est probablement le gris du ciel qui déteint sur elle. Et sur moi.
Je referme la tenture et reviens de ce côté-ci de la fenêtre.
Au mur, une grappe de raisins peinte par Marie-Thérèse il y a longtemps. « C’est juste un exercice sans prétention, cela ne vaut pas la peine de l’encadrer et de l’accrocher, … ». Oui je sais, mais moi j’aime bien cette peinture sans prétention.
Elle me fait penser au Merlot. Ou au Cabernet Sauvignon. Ces fameux cépages dont me parlait sans arrêt Jan, mon vieux collègue dont la passion du vin était telle qu’il avait acheté une vigne et une maison dans le Haut-Médoc, à Sissac près de Saint-Estèphe, et qu’avec un vigneron local, il avait créé le Château Chano, un assemblage de Cabernet Sauvignon, de Merlot noir, de Cabernet franc et de petit Verdot selon sa fiche technique et les explications fleuries et infinies de mon copain. Je n’y connais pas grand-chose, mais quand Jan qui se définissait avec humour comme le plus Médocain des Flamands se mettait à parler de son breuvage en me faisant goûter sa dernière cuvée, ses yeux scintillaient et moi, dans un silence religieux, je buvais ses paroles en vidant mon verre. Jan nous a invités chez lui là-bas il y a 25 ans à la fin octobre quand les vignes se dorent, les façades des châteaux s’orangent et le ciel se cuivre. Douces soirées gouleyantes au coucher de soleil, viandes grillées sur rameaux de ceps crépitants, jeux de lumières pourpres dans nos verres. Coloris-souvenirs d’aquarelle sans prétention.
Cette aquarelle me fait penser aussi à nos printemps corses à Vico et aux juteuses grappes de muscat à l’étal du petit commerce de fruits et légumes près de la Piazza du village. Elle me rappelle aussi nos étés à Foissac près d’Uzès où pendant que ma femme aquarellisait, je me perdais en longues randonnées dans les vignes caillouteuses du Gard, volant ici un grain encore sûr de Cabernet Sauvignon ou chipant là un Gamay noir au jus blanc.
Oui, cette petite aquarelle m’éloigne de l’hiver, de la neige, du énième lundi de confinement. Elle m’évade de ce côté-ci de la fenêtre.
C’est pas mal pour un exercice sans prétention.
