Le soleil est vif ce dimanche matin et il se prend pour Joan Miró. Sur le mur blanc de la maison, il s’est servi de l’ombre des tables basses comme d’un pinceau noir pour dessiner quelques arabesques ponctuées de taches rouges de géranium.
Je l’ai déjà écrit dans des billets précédents, mon jardin est un musée, ses coins d’ombre, ses parterres, son potager recèlent de véritables petits chefs d’œuvres éphémères pour qui sait ouvrir l’œil. L’art est dans l’œil de celui qui regarde (« Beauty lies in the eye of the beholder ») a écrit Oscar Wilde.
Assis sur le banc de la terrasse je regarde ces ombres et dans mon œil il y a soudain plus que de l’art, il y a du voyage. Je me revois jeune adulte ignare de ces choses et de ces artistes majeurs qui ont bouleversé notre époque. Oui, je me revois avec ma jeune femme qui m’a ouvert les yeux et baladé-guidé dans je ne sais combien d’endroits magiques et de musées durant nos vacances et des week-ends prolongés. Là maintenant, assis sur mon banc, je me retrouve en pensée à Saint-Paul de Vence, à la Fondation Maeght dans le labyrinthe de Miró, ce jardin extraordinaire où sont disposées dans une sorte de parcours-dédale une quinzaine d’œuvres monumentales spécialement conçues pour l’endroit.
Avec Marie-Thérèse et ma plus jeune fille Marie-Noëlle, nous nous promenons dans l’univers onirique, entre surréalisme et abstraction, de l’artiste qui dans sa jeunesse a déclaré vouloir « assassiner et violer » les méthodes conventionnelles de la peinture pour laisser cours à ses rêves, sa fantaisie, son humour. Sa gravité aussi. Comme un enfant, avec enthousiasme et naïveté, il trace des traits simples, peint des taches de couleurs vives, découpe et colle des morceaux de papier et « bricole » des maquettes qui deviendront des sculptures géantes de fer, de bronze, de marbre et de béton ou encore d’exubérantes céramiques. Nous ne faisons aucune différence entre le ciel bleu pétant, les plantes luxuriantes qui nous entourent, la lumière éclatante de Provence et les oiseaux, les lunes, les monstres et les fourches, symboles de la révolte des paysans durant la guerre d’Espagne, créés par Miró. Nous évoluons dans un « tout » imaginaire et irréel et pourtant si vrai, si tangible, si sensuel, si heureux.
Je me souviens de cette après-midi printanière dans ce jardin des merveilles comme étant un des plus beaux moments de ma vie. J’aurai le bonheur aussi de visiter plus tard le Parc et le Musée de Miró à Barcelone et de croiser d’autres de ses tableaux et réalisations dans d’autres temples de l’art. J’aurai à chaque fois des battements de cœur particuliers. Pour l’artiste, l’homme, ses œuvres et tout ce et ceux qu’il a inspirés.
Comme au printemps 2013, par exemple, mon petit-fils Awen qui dans le cadre d’un cours d’initiation à l’art moderne en 1ère année primaire, avait réalisé un portrait de son copain Eden à la manière de Joan Miró.
C’est « excepcional » comme des ombres sur un mur, un dimanche de soleil, peuvent inviter au voyage.



