Je n’ai jamais passé autant d’heures dans mon potager que durant cette période de confinement. J’en ai fait un vrai petit jardin de curé avec des senteurs bien religieuses comme celle du buis dont on coupe les rameaux pour le dimanche du même nom. Le mien est taillé en boule, j’adore le caresser et le respirer quand je passe à côté. À chaque fois, je croise les doigts et vérifie s’il est bien intact au coeur de ses branches. Il a échappé jusqu’à ce jour aux attaques de la diabolique pyrale. Je le surveille en permanence et n’hésite pas à pulvériser non pas de l’eau bénite mais de la « piréthrinoïde » qui zigouille la vorace chenille verte, la redoutable vampire des buis.
Quand je dis jardin de curé, je devrais plutôt dire jardin monastique, ces magnifiques potagers à but thérapeutique que l’on trouvait au moyen-âge dans les monastères dont les Pères, Frères, Mères et Sœurs avaient continué à pratiquer et enrichir la culture des plantes médicinales, la « pharmacopée végétale », développée au temps de la Rome classique. Durant des siècles, les religieux et religieuses ont soigné leurs contemporains dans leurs Hôtels-Dieu à l’aide de remèdes à base de plantes.
On trouve encore de nombreux jardins médicinaux aujourd’hui. Quelques anciens et pas mal de nouveaux, notamment pour les végétariens et les végans.
Un des plus beaux et des plus vieux est celui du Couvent-Hôpital Notre Dame à la Rose à Lessines, un site exceptionnel datant du 13e siècle, où l’on peut visiter un étonnant musée consacré à l’histoire de la médecine ainsi qu’un fabuleux jardin de plantes thérapeutiques. J’ai visité ce lieu il y a deux ans avec mon petit-fils Maxime qui a adoré ! Même pas peur devant la collection d’ustensiles chirurgicaux barbares d’autrefois qui feraient passer la fraise du dentiste moderne pour un petit joujou inoffensif. Dans la bibliothèque, Max s’arrêtait à chaque vitrine devant les vieux livres dont les illustrations sanguinolentes détaillaient avec réalisme le perçage des bubons des pestiférés, le traitement des maladies vénériennes ou les techniques pour réparer les crânes fendus par les épées, troués par les flèches ou fracassés par les lances.
– « Euh… t’aimes ce genre de livres, Maxime ? » lui demandais-je. – « Oui, c’est trop bien, j’adore les livres qui font peur … c’est plus intéressant que les histoires gentilles » me répondait-il sans lever les yeux de ces pages horribles. Ces gros bouquins m’ont appris qu’à l’époque, seulement quatre grands types d’humeurs (catégories médicales) déterminaient le genre de soins que l’on vous prodiguait : il y avait les bilieux (dont j’aurais fait partie sans aucun doute), les flegmatiques, les sanguins et les mélancoliques.
Après ce voyage au bout de l’enfer médical du temps passé, nous nous sommes rendus au remarquable jardin médicinal où j’ai pris quelques leçons pour mon modeste potager.
C’est ainsi que chez moi, aujourd’hui, on trouve bien en évidence une grosse plante de sauge toujours prête à calmer mes maux de gorge, moi qui suis hyper-sensible aux pharyngites et angines. Dans mes pelouses qui n’ont rien du gazon anglais, je laisse pousser le plantain que d’aucuns considèrent comme un indésirable alors qu’en infusion avec du thym, il apaise lui aussi ma gorge irritée et que ses feuilles frottées sur la peau calment le feu des piqûres d’insectes en été.
Je cultive également, bien entendu, la plupart des légumes classiques. Comme le fenouil qui traite les problèmes de flatulences (oui, il faut penser à tout). Les panais et les carottes riches en énergie multiple, manganèse, magnésium, phosphore, potassium et zinc (les carottes, les lapins, l’énergie… ça va, vous faites le lien ?). Des choux et des betteraves rouges, bons nettoyeurs du sang et du foie (parfois, certains lendemains, j’en ai besoin). Des céleris raves et branches, excellents diurétiques, grands amis de ma prostate. Des haricots pour lutter contre l’arthrose, j’en emporte une poignée dans mon sac de tennis prêts à croquer crus quand j’ai mal aux articulations. Des salades et laitues diverses parce que c’est bon pour tout, de la vésicule aux intestins, de la peau aux cheveux (euh… aux cheveux ? ah bon ? je devrais en manger plus alors !). Et puis du thym, du romarin, du laurier, de l’ail, des oignons, des radis, du cresson, de la ciboulette, de l’estragon, du basilic, des patates … etc.
Que de voyages-santé dans mon potager depuis le début du confinement : chaque matin – on doit être aux environs du cinquantième, non ? – j’y passe une heure ou deux à ratisser, biner, semer, planter, arroser… comme le chante Henri Salvador, le travail c’est la santé.
Mais se tourner les pouces et bailler aux corneilles, ça fait du bien aussi. Je dépose souvent la bêche et le râteau pour rêver, assis sur le banc à l’ombre du poirier. Je voyage alors mentalement d’un jardin à l’autre, en particulier celui que je préfère, le Jardin Médiéval d’Uzès dans le Gard où l’on trouve dans un décor de carte postale, en plus des plantes médicinales, des légumes et fruits d’époque dont on peut savourer sur place de délicieux cocktails. Je me balade aussi en pensée dans les petites allées entre les carrés du Jardin des plantes médicinales d’Orval reconstitué à l’identique de l’ancien « courtil » créé au 18e siècle par un moine-jardinier qui cultivait ses plantes en « carreaux » thématiques isolés les uns des autres par des clôtures basses : les urinaires, les digestives, les circulatoires, les respiratoires, les neurologiques.
Ce matin, mon rêve fut de courte durée, j’avais du boulot, couper des branches de mes troènes pour en faire des tuteurs et planter des petits pois qui s’y accrocheront. Des petits pois mais pourquoi ? Si j’attrape des problèmes à la cervelle, il paraît qu’ils pourront prendre sa place.
