Sur un chemin de croix de mon enfance

Mon grand-père était menuisier et aussi sculpteur sur bois à ses heures. « C’était un artiste » disait fièrement ma mère qui ajoutait aussitôt avec un peu de regret «…mais nous étions pauvres, il préférait sculpter gratuitement des candélabres ou des objets religieux pour les églises de la région que fabriquer des armoires ou des cercueils pour des clients qui payaient ».

Je me souviens de son atelier au plancher couvert de copeaux, encombré de lattes, de planches, de morceaux de troncs d’arbres et de je ne sais combien de vieux réveils empilés sur des étagères dont il récupérait les mécanismes pour récréer des horloges en bois mouluré magnifiques. J’ai encore en mémoire olfactive les parfums âcres ou mielleux des essences qu’il stockait : hêtre, chêne, frêne, érable, merisier, sapin… rien que des espèces de chez nous, pas encore de méranti, de teck ou de merbau à l’époque.

Dans une armoire fermée à clé, il gardait quelques bustes inachevés, des crucifix en morceaux, des bas-reliefs représentant les stations du chemin de croix et de nombreuses pièces travaillées qui deviendraient encadrements pour peintures bibliques ou pieds de lutrins pour poser les livres sacrés.

Tous ces objets ont été dispersés après sa mort. Peu sont restés dans la famille, ma mère n’en possédait que quelques-uns dont un superbe buste de Madone, trois bas-reliefs à motifs fleuris, un grand crucifix et de superbes dessins au fusain, projets qu’il n’eut pas le temps de réaliser.

De ses œuvres – un terme qu’il aurait réfuté car s’il était fier de son travail, il affichait la modestie des artisans. Autodidacte, oui. Artiste, non : « je n’ai pas fait d’études, j’ai appris mon métier tout gamin chez le menuisier du village » – de ses œuvres, dis-je, j’ai hérité au décès de ma maman du remarquable crucifix en chêne suspendu aujourd’hui au mur de notre cuisine. Chaque année, sauf celle-ci pour cause de confinement, j’y accroche une branche de buis bénit à la messe des Rameaux. Sauf une fois quand ce fut une branche d’olivier ramenée du Portugal où nous passions les fêtes de Pâques.

Aujourd’hui, Vendredi Saint, confiné à la maison comme tout le monde, je regarde ce Christ avec plus d’attention que d’habitude. Et il m’emmène en balade dans la vieille église où j’étais enfant de chœur participant aux offices de la Semaine Sainte.

Ce qui me saute spontanément à l’esprit, c’est un souvenir rigolo, même si l’on commémorait les derniers jours du Christ. Avec mes copains dans la sacristie, on riait tellement que le curé a dû nous engueuler pour nous calmer juste avant la cérémonie du Lavement des Pieds, le Jeudi Saint. Il nous avait désignés pour jouer le rôle des disciples dont il laverait les pieds comme Jésus le fit en signe d’humilité. Nous avons eu toutes les peines du monde à ne pas pouffer de rire quand il a versé l’eau sur nos orteils car juste avant l’office, avant de revêtir nos soutanes et surplis, nous avions vérifié en rigolant si nos pieds ne puaient pas.

Pardon, mea culpa, pour ce sourire peu respectueux un jour comme aujourd’hui.

Je me demande si comme le Christ qui de sa croix réprimande Don Camillo-Fernandel, celui de mon grand-père va me gronder.

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