John d’Ostende

« T’inquiète Mich, t’es avec le grand John, on va trouver une idée géniale ».

Quelques semaines avant sa mort, il y aura bientôt 15 ans, je travaillais avec mon copain John dans son atelier de peintre à Ostende. Il avait quitté la pub depuis quelques années déjà mais quand « un bon coup » se présentait, il n’hésitait pas à reprendre ses marqueurs et son bloc layout et à m’appeler, moi son vieux pote copywriter, pour pondre une campagne en freelance. « T’as envie de gagner un peu de fric ? Viens chez moi à Ostende demain, un de mes anciens clients a besoin d’une idée, il paie bien, à nous deux, on va lui trouver ça vite fait, bien fait. Après, on ira prendre un pot à la capitainerie du port ». 

Pendant plus de trente ans, John et moi avons fait carrière séparée mais auparavant, nous avons été inséparables pendant huit ans. En binôme créatif, lui art director et moi copy, nous avons créé quelques magnifiques campagnes (et pas mal de nulles) à Bruxelles et à Paris. Nous avons également traîné, de temps à autre (?), dans les bars de l’avenue Louise et du boulevard Saint-Germain.

John était un partenaire fantasque, égomane mais terriblement créatif et hyper-sensible sous une carapace d’ours mal-léché, parfois rustre et brutal. J’ai vécu de nombreux moments  agréables avec lui mais aussi quelques pénibles. Quoiqu’il en soit, il fut mon ami le plus cher. J’ai été – et je le suis encore – bouleversé par sa disparition beaucoup trop précoce en 2006.

Ce n’est pas au copain publicitaire que je pense aujourd’hui. C’est au peintre amoureux de la mer du Nord, à l’artiste romantique qui, étrangement, ne croyait pas à son talent. Quand j’étais à ses côtés dans son atelier, un privilège qu’il n’accordait qu’à très peu de personnes, il était comme un enfant (de cent kilos quand même !) qui n’osait pas montrer ses dessins de peur qu’on ne les trouve pas beaux. Autant dans la pub pouvait-il se montrer imbu de ses créations (souvent formidables, il faut le dire), autant devant la peinture restait-il humble (« Ça c’est pas de la réclame, c’est de l’art, c’est beaucoup plus difficile »).

J’ai la chance de posséder quelques tableaux de lui et des dessins qu’il griffonnait machinalement quand nous cherchions des idées et que j’attrapais au vol avant qu’il ne les jette à la poubelle (« Mais qu’est-ce que tu vas foutre avec ça ? »).

J’adore le tableau des deux couples, le jeune et le vieux, sur la digue d’Ostende. Il est accroché en bonne place à la maison et je l’ai photographié ce matin pour le partager avec ce texte. Je le regarde chaque jour et à chaque fois, j’ai une pensée pour mon vieux copain qui lui, de la fenêtre de son appartement, passait des heures à scruter cet immense terrain vague où son père avait navigué comme commandant dans la marine marchande et où lui, jeune homme, avait vécu des heures inoubliables à bord d’une frégate militaire et puis aussi, à deux ou trois reprises sur un chalutier de pêche ostendais lors d’expéditions en Islande.

Il était littéralement fou-amoureux de la mer, pas n’importe laquelle, pas celles du sud aux eaux cristallines, non celle d’ici, d’Ostende, celle de Jacques Brel avec ses vagues troubles, grises et vertes.

Chaque fois que je contemple ce tableau de mon ami John, j’ai des sentiments mélangés, à la fois des souvenirs heureux et à jamais le cœur à marée basse.  

Marine Ostende 2003 – John Wymans (1945 – 2006)

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s