Plume canadienne

Bleu plein le hublot. Bleu ciel en haut, bleu atlantique en bas. Notre vitesse de croisière est de 890 km par heure et notre altitude est de 40000 pieds, ce qui équivaut à plus ou moins 12 km. Bruxelles est loin derrière moi… bientôt Montréal, j’arrive dans 3 heures.

Je suis excité, curieux. J’ai peur aussi. Je quitte ma vie confortable en Belgique. Et je culpabilise car je laisse ma femme et mes filles à la maison. On traverse une période de turbulences, Marie-Thérèse et moi, un peu d’éloignement sera peut-être bénéfique.

C’est une des raisons qui m’ont poussé à accepter l’offre de l’agence de pub Young & Rubicam de Montréal qui recherchait un directeur de création européen, francophone et habitué à travailler sur un marché bilingue. Et surtout, m’avait dit la patronne, je veux une bonne plume, j’ai vu votre dossier et vos textes me plaisent beaucoup.

« Une bonne plume… »

C’est au moment où je me remémore notre conversation que les hôtesses du vol Sabena Brussels-Monreal-Toronto poussent dans les allées du Boeing 747 leurs chariots remplis de parfums et d’objets de luxe vendus en hors-taxe. J’opte pour un flacon d’after-shave Eau Sauvage de Dior et au moment de payer, j’aperçois dans un petit tiroir du chariot, un magnifique stylo, noir et or, le célèbre stylo-plume Meisterstück de MontBlanc.

Je n’ai jamais écrit au stylo de ma vie. À 16 ans, j’ai appris à taper à la machine avec la méthode à l’aveugle de ma maman qui avait fait des études de secrétariat. Sur sa vieille machine Remington, en suivant ses conseils, j’ai tapé, retapé et re-retapé des centaines de fois Q S D F de la main gauche et J K L M de la main droite, sans regarder, le clavier étant masqué. Et, attention, il faut taper avec les cinq doigts de chaque main: l’index, le majeur, l’annulaire et l’auriculaire pour les lettres et les pouces pour la barre d’espacement. Au bout de quelques semaines, je ne savais quasi plus écrire lisiblement à la main, tous mes textes étaient désormais dactylographiés. Et Dieu sait que j’en écrivais déjà beaucoup à l’adolescence. En plus de mes notes de cours, je couvrais des quantités de feuilles A4 de poèmes et de textes de chansons.

Alors pourquoi acheter ce stylo ? Parce qu’il était beau, il s’agissait d’une icône de design. Parce qu’il était cher aussi, dans la petite poche de mon veston il témoignerait discrètement de ma réussite, j’allais gagner un bon salaire là-bas. Et puis, je n’allais quand même pas signer mon contrat avec un Bic !

Mais ce qui me fascinait vraiment, au delà du logo blanc sur le capuchon qui représentait le sommet du Mont Blanc, au delà de l’or 14 K et des incrustations rhodiées de la plume, ce qui me fascinait c’est que ce stylo était un superbe symbole de mon travail, de ma passion, de ma vie : l’écriture.

Mais je ne l’ai utilisé que pour signer des papiers importants ou calligraphier , question lisibilité, mes lettres manuscrites à ma famille restée en Belgique.

J’ai vécu deux ans à Montréal avec des retours chez moi tous les deux mois. Je connaissais l’aéroport de Mirabel comme ma poche, le serveur du bar près de la porte d’embarquement des vols à destination des pays d’Europe me reconnaissait et pourtant ces vols-aller-retour me semblaient trop espacés. L’hiver à Montréal est long, le printemps et l’été sont beaux mais tristes quand votre épouse et vos enfants sont de l’autre côté de l’océan. Alors, j’écrivais de nombreuses lettres à l’encre bleue de mon stylo MontBlanc. Mes filles me répondaient avec des dessins et des origamis représentant des cœurs, des papillons ou des lapins. Mais celui qui m’a réellement décidé à accélérer mon retour, c’était un pliage en forme d’avion décoré de ces mots écrits avec des crayons de couleur : reviens on t’aime. J’ai aussitôt répondu, la lettre la plus courte de ma vie : OK signé Papa, c’est une des dernière fois que j’ai utilisé mon MontBlanc, je venais d’écrire un des textes les plus importants de ma vie.

Ce stylo est dans le premier tiroir de mon bureau, dans un bel étui en cuir. Il m’arrive, de temps en temps, de le regarder et de le caresser tout en rêvassant à cette époque québécoise vieille maintenant de près de quarante ans, oups déjà ! C’est probablement l’objet auquel je tiens le plus, tellement il est riche d’émotions. C’est lui, entre autres, qui m’a donné l’idée de ce nouveau blog de voyages en compagnie d’objets que j’aime.

Je l’ai récemment promis à Awen, mon petit-fils aîné qui le trouve très beau, pour quand je serai parti en voyage de l’autre côté de l’horizon. « Oh ! ça peut attendre, hein papi !» m’a-t-il répondu. 


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