Tapis volant

Depuis des années déjà, il aurait dû voler à la poubelle. Usé de partout, il tombe en lambeaux et quand je passe l’aspirateur dessus, je dois faire attention à ne pas le déchirer car il est devenu fragile comme une feuille de papier. Il faut dire qu’il n’est plus tout jeune. Il a perdu la fraîcheur de ses couleurs et la résistance de ses fils à force de se faire marcher dessus. Il est à mes pieds dans le coin bureau de mon living et avec le temps, je ne le vois même plus, il fait partie de mon décor depuis tellement longtemps.

Oui, il aurait dû voler au cimetière des tapis et laisser la place à un plus jeune, plus vif, plus moderne. Mais voilà, je n’arrive pas à m’en détacher. J’ai même décidé de le raccommoder, de le rafistoler comme je peux, j’ai acheté ce matin des grosses aiguilles à repriser et du fil épais. Pourquoi ? Parce que ce tapis quand je prends le temps de le regarder est une invitation au voyage au pays des souvenirs heureux. Quand nous étions jeunes, beaux et insouciants.

Nous l’avions acheté dans un village perdu quelque part en Grèce. Je ne me souviens plus du lieu, seule l’image vague d’une modeste boutique flotte dans le brouillard de ma mémoire.

En le recousant, j’ai eu l’envie de remonter le fil du temps et ai feuilleté mes vieux albums de photos et miracle, le puzzle de jolies vacances presqu’oubliées s’est reconstitué.

Nostalgie ? Non pas vraiment car je n’éprouve pas de tristesse pour une époque disparue mais seulement le plaisir d’une belle escapade mentale, d’une excursion-retour vers un superbe moment de vie dans un endroit magique où dans l’Antiquité, assise dans une grotte sacrée, une prophétesse nommée La Pythie parlait au nom des dieux et prédisait l’avenir. Le nôtre, depuis notre passage dans ce lieu que ses habitants appellent le « nombril du monde » (l’Omphalos, centre géographique du monde grec ancien), fut un beau vol avec certes ses orages mais aussi et surtout ses arcs-en-ciel. En reprisant mon vieux tapis volant, je survole en pensée quelques escales de ce voyage et en espère encore de nombreuses.

Tout en remerciant le ciel, qu’il soit bleu ou gris.

Mont Parnasse – Delphes – Années 80

De ce côté-ci

J’ouvre la tenture et regarde de l’autre côté de la fenêtre. Tout est blanc. Sauf le ciel. Gris. La neige a tombé toute la nuit. Dehors, il gèle à pierre fendre. Pas une voiture dans la rue. Pas un bruit. Silence glacial.

Oh, non, pas tout à fait. Il y a de l’animation autour de la mangeoire. La gang des moineaux habituelle. Plus deux mésanges charbonnières. Un pinson. Et un je-ne- sais-pas-quoi style moineau ou pinson de couleur pâle, entre jaune et beige comme un poussin délavé ou pas lavé. J’écrirai mon billet ce soir, à l’aise, près du feu ouvert. Pas le temps ce matin, j’ai du boulot, c’est lundi et toujours pas d’aide-ménagère, pas encore remise sur pied, reviendra-t-elle ? D’habitude, la neige me donne du tonus, de l’envie de balade, d’air pur et de joues rouges mais là, elle aurait plutôt tendance à me déprimer. C’est probablement le gris du ciel qui déteint sur elle. Et sur moi.

Je referme la tenture et reviens de ce côté-ci de la fenêtre.

Au mur, une grappe de raisins peinte par Marie-Thérèse il y a longtemps. « C’est juste un exercice sans prétention, cela ne vaut pas la peine de l’encadrer et de l’accrocher, …  ». Oui je sais, mais moi j’aime bien cette peinture sans prétention.

Elle me fait penser au Merlot. Ou au Cabernet Sauvignon. Ces fameux cépages dont me parlait sans arrêt Jan, mon vieux collègue dont la passion du vin était telle qu’il avait acheté une vigne et une maison dans le Haut-Médoc, à Sissac près de Saint-Estèphe, et qu’avec un vigneron local, il avait créé le Château Chano, un assemblage de Cabernet Sauvignon, de Merlot noir, de Cabernet franc et de petit Verdot selon sa fiche technique et les explications fleuries et infinies de mon copain. Je n’y connais pas grand-chose, mais quand Jan qui se définissait avec humour comme le plus Médocain des Flamands se mettait à parler de son breuvage en me faisant goûter sa dernière cuvée, ses yeux scintillaient et moi, dans un silence religieux, je buvais ses paroles en vidant mon verre. Jan nous a invités chez lui là-bas il y a 25 ans à la fin octobre quand les vignes se dorent, les façades des châteaux s’orangent et le ciel se cuivre. Douces soirées gouleyantes au coucher de soleil, viandes grillées sur rameaux de ceps crépitants, jeux de lumières pourpres dans nos verres. Coloris-souvenirs d’aquarelle sans prétention.

Cette aquarelle me fait penser aussi à nos printemps corses à Vico et aux juteuses grappes de muscat à l’étal du petit commerce de fruits et légumes près de la Piazza du village. Elle me rappelle aussi nos étés à Foissac près d’Uzès où pendant que ma femme aquarellisait, je me perdais en longues randonnées dans les vignes caillouteuses du Gard, volant ici un grain encore sûr de Cabernet Sauvignon ou chipant là un Gamay noir au jus blanc.

Oui, cette petite aquarelle m’éloigne de l’hiver, de la neige, du énième lundi de confinement. Elle m’évade de ce côté-ci de la fenêtre.

C’est pas mal pour un exercice sans prétention.

Écran noir

Je me suis assis dans le beau fauteuil en osier rempli de coussins devant la télé de la chambre de Laurence. Je n’y viens presque plus jamais. On l’appelle toujours ainsi même si depuis plus de vingt ans, ma fille a quitté la maison. Cette chambre est désormais celle des petits enfants qui, eux, n’y viennent plus dormir depuis le début de la pandémie.

Je me suis assis devant la télé mais je ne l’ai pas allumée. Pas envie de polluer l’écran et ce lieu avec les mauvaises nouvelles qui nous viennent de partout. Cette télé est celle du bonheur et doit le rester.

Dans le reflet de l’écran noir, je vois des jours bleus et des gamins qui se tordent de rire ou qui se querellent, qui se jettent des coussins à la tête ou qui restent assis comme des enfants sages captivés par des aventures peuplées d’animaux sauvages et d’extraterrestres.

J’entends alors dans le silence les voix de Fred et Jamy nous invitant à une visite guidée d’une fourmilière ou à la récolte du miel dans des ruches en montagne. Je jette un coup d’œil par la fenêtre et je vois voltiger quelques très légers flocons dans le jardin. Aussitôt sur l’écran noir apparaît une petite ville du siècle dernier, non du précédent, dans le Grand Nord, habitée par des chercheurs d’or. Un chien loup hurle face à la méchanceté des hommes, je le reconnais, c’est Croc-Blanc. Mais ses cris sont vite adoucis par la musique de Camille Saint-Saëns et son carnaval des animaux. Je me laisse emporter dans mes rêves et retrouve mes petits-fils fouillant dans le coffre sous la télé remplie de DVD et de vieilles cassettes-vidéo. Ils passent de l’une à l’autre et ne parviennent pas toujours à trouver celle qui plaît à tous. Alors ils sortent tous les jeux du coffre et les étalent partout sur le plancher. Il fallait faire gaffe où l’on posait les pieds car il pouvait vous arriver de sauter au plafond après avoir marché pieds nus sur un bloc Lego. Je rigole intérieurement, j’éteins mes rêves, je n’ai pas que ça à faire, j’ai du boulot.

Et instinctivement, je regarde où je pose les pieds en quittant le fauteuil.

Ailes nocturnes

Chaque soir, avant d’aller me coucher, je m’assieds à ma « table de nuit » où je vais noircir, ou plutôt « bleuir », une page ou deux de mes cahiers secrets. Besoin d’évasion, de rêveries, d’éloignement de la sinistrose ambiante.

Je me laisse alors porter par les ailes des trois échassiers migrateurs, le Héron Crabier, l’Échasse Blanche et le petit Vanneau qui montent la garde sur ma table de chevet. Avec eux, je m’envole vers les rivages de mes rêves, survolant les estuaires de mes fantasmes ou me posant ici ou là sur les sables de mes souvenirs.

Et de mon Bic, comme ces oiseaux de leur bec, je picore dans la vase de mes pensées. Un mot, une phrase, une idée.

Et parfois, quand j’ai de la chance, un vers.  

L’armoire à voyages

Je lève les yeux pour frapper la petite balle jaune. Le ciel bleu azur est déchiré par deux contrails s’échappant d’un point d’acier brillant.

Je les suis des yeux, je rate la balle, je ne suis plus sur le terrain, je vole, je me demande d’où vient cet avion et où va-t-il. La saison des grandes vacances décolle mais cette année elle ne sera pas comme les autres, les voyages aériens sont déconseillés et même interdits pour de nombreuses destinations. Et même si certains sont autorisés et déclarés sans danger de Covid si l’on respecte les conditions sanitaires, je ne me risquerai pas à monter à bord d’un avion avant quelques mois. Cet été, j’irai pour quelques jours ici où là, en Belgique ou en France, au gré de mes humeurs et en fonction de l’agenda des ateliers d’aquarelle de Marie-Thérèse.

Cela ne signifie pas pour autant que je ne voyagerai pas. J’ai une armoire magique sur le deuxième palier de notre maison qu’il suffit d’ouvrir pour s’évader.

Avant le GPS, Google Maps et Booking.com, je préparais mes voyages des jours et des jours à l’avance. D’abord par l’achat d’un guide Michelin ou d’un Routard ou encore d’un livre documentaire sur la destination que nous avions choisie. J’ouvrais un cahier spécifiquement dédié à ce voyage dans lequel à l’aide de cartes Michelin, encore le bibendum, je notais mes trajets, ville par ville, quand nous partions en voiture et nos vols et déplacements en train ou voiture de location quand nous prenions l’avion. Tout était préparé, les itinéraires, les hôtels, les visites etc. Ce cahier me servait aussi à consigner mes impressions, nos rencontres, nos découvertes et nos moments particuliers qui me serviraient ensuite à commenter et légender mes photos dans mes albums-souvenirs. Avec ma mémoire qui vieillit et se prend de plus en plus pour un gruyère, ces carnets, ces photos et… ces bouquins dans l’armoire à voyages me sont bien précieux pour ne pas voir plein de moments heureux de ma vie glisser comme du sable dans les interstices et les crevasses de l’oubli.

En rentrant du tennis, en pensant à cet avion, chose rare en ces temps de coronavirus, j’ai ouvert l’armoire et en ai sorti quelques bouquins au hasard, dont l’un sur l’Italie du Sud et la Sicile.

Quand j’en ai tourné les pages, mon esprit s’est envolé d’abord pour aller embarquer – sous la pluie ! – à Sorrente à destination de Capri et ensuite randonner dans la poussière chaude de l’Etna.

Voyage Voyage (Desireless – 1987)

Mise au vert

Vert de Meuse

Vert de berges

Vert de bosquets

Vert de charmes

Vert de noisetiers

Vert de hêtres

Vert de maillots

Vert de casquettes

Vert de cyclistes

Vert de reflets

Vert d’eau

Vert de douceur

Vert de bonheur

Verre de limonade

Verre de blonde

Vert d’un dimanche

Vert d’une terrasse

Vert d’un platane

Vert d’une photo

Vert d’escapade

Vers le village d’Hastières

Quand carrelage rime avec voyage

Les carrelages de ma salle de bains me font rêver quand je suis dans ma baignoire. À hauteur de mes yeux, une frise longue de quatre mètres vogue sur le mur en illustrant une vingtaine des plus célèbres voiliers de l’Histoire dont le Santa-Maria de Christophe Colomb.

Ces céramiques ont été créées et réalisées par mon artiste d’épouse quand nous avons fait construire notre maison. Que nous ont-ils fait naviguer en pensée sur des vagues savonneuses, nous, nos filles et nos petits-fils ! Moi qui n’ai jamais fait de bateau à voile, ils m’invitent à imaginer l’ivresse de la Route du Rhum, les embruns du Vendée-Globe, la griserie d’une traversée transatlantique. Imaginer ou alors lire.

Ces carrelages m’ont soudain porté ce matin vers des souvenirs de lectures océanes d’Olivier de Kersauzon qui souvent a non seulement gonflé les voiles de mon imaginaire mais aussi, peut-être même surtout, ramené mes pieds sur terre grâce à des réflexions d’une profondeur et d’une simplicité qui aident à traverser sereinement les remous ou tempêtes de la vie.

Comme celle-ci, par exemple, extraite de Promenades en bord de mer et étonnements heureux (éd. Cherche-Midi – 2016) : «… je suis moi-même bien indifférent au futur. Si on commence à s’inquiéter pour le futur, on perd un temps énorme. Il ne faut s’inquiéter que pour des choses qu’on peut vraiment changer, et moi, ma réalité d’action dans le monde d’aujourd’hui est bien faible. La seule chose que je puisse faire est d’essayer d’un petit peu moins nuire à mon prochain, au sens étymologique du terme, mais ça s’arrête là ».

Jeudi piétonnier

Je n’ai jamais autant marché que ces trois derniers mois. Je n’ai pas compté les kilomètres à pied, ça use, ça use mais j’en ai avalés beaucoup. Aujourd’hui, par exemple, à 15h51 quand je suis rentré chez moi, mon iPhone affichait 13472 pas et 7,4 km au compteur. Pas mal pour un type qui n’a jamais été un grand randonneur. Et ce n’était pas les chiffres définitifs de la journée car ensuite j’ai encore arpenté le jardin dans tous les sens avec ma tondeuse à gazon ce qui doit ajouter 1 ou 2 km au total.

Hier, je n’ai pas marché autant mais… j’ai couru sur un terrain de tennis et bien qu’on dise qu’en double on ne se déplace pas beaucoup, j’avais quand même couru derrière la petite balle jaune 3 km à grandes ou petites enjambées vers l’avant, vers l’arrière ou en pas chassés latéraux. Je dois dire que je le sens ce soir dans les muscles des jambes et que mes adducteurs sont légèrement enflammés. Mais que sont ces inconvénients en regard du bien-être mental ?

La santé mentale ! On en a beaucoup parlé ce soir à la télé à propos des nouvelles mesures de déconfinement autorisant les enfants à retourner dans les écoles maternelles et primaires. Il était plus que temps, selon la lettre d’urgence adressée au gouvernement par l’ensemble de la profession des pédiatres, de leur permettre de sortir à nouveau, de jouer, de rencontrer, d’apprendre. Bref, de re-vivre. Leur équilibre psychologique était, en effet, plus en danger face à la déprime que leur santé physique face au virus.

Oui, enfants ou adultes, il nous est indispensable de mettre le nez dehors, de bouger, nous ne sommes pas faits pour nous confi-ratatiner. La solitude, le manque d’horizon et l’immobilisme peuvent aussi nous rendre malades. Moi, je n’ai pas à me plaindre. J’ai « bougé » plus pendant cette période de confinement que toute autre: je le répète, je n’ai jamais autant marché que ces trois derniers mois. Oh ! je ne me suis pas déplacé en ne respectant pas les consignes, je n’ai remis les pieds dans un grand magasin (et encore, une jardinerie !) que ce week-end. Non, quand je dis que j’ai « bougé », je veux dire que j’ai mis un pied devant l’autre à l’extérieur de chez moi uniquement pour découvrir et parcourir, seul, de nombreux sentiers et chemins de ma campagne jusqu’à présent inconnus pour moi. Comme un pèlerin avec son bâton, je me suis mis en route pour Pont-à-Celles, ma commune, entité rurale et résidentielle traversée par le canal Charleroi-Bruxelles, d’une superficie de plus de 55 km2 dont 70% sont de grandes étendues agricoles.

Aujourd’hui, après avoir déposé ma voiture au garage pour quelques réparations, bien que je n’habite pas la porte à côté, j’avais prévu de rentrer chez moi à pied. J’ai d’abord longé le canal par l’ancien chemin de halage et me suis offert ensuite quelques détours bucoliques à travers des champs de jeunes betteraves et des prairies où les uns trottent et galopent et les autres se vautrent et ruminent.

Sur la fin de ma randonnée, en enjambant le pont du canal, j’ai aperçu en contrebas dans les ronces et les buissons un bout du ruisseau qui le borde. Une plaque indique qu’il s’appelle Le Piéton.

Un mot tout-à-fait indiqué pour cette journée !

Voyages à l’eau

Pendant ces presque trois mois de confinement, je me suis transformé en personnel de maison. Homme à (presque) tout faire. Jardin, nettoyage, cuisine, bricolage, il n’y a que la lessive et le repassage (et encore !) que je n’aie pas faits. Mais ce n’est pas de l’esclavage, du pur plaisir uniquement parce que je le vaux et le veux bien.

Pendant que je frotte, que je bine ou je mijote, ma femme voyage. Avec ses pinceaux, elle court la garigue et revisite sa Provence adorée. De Gordes aux Baux, de Sénanque à Avignon, de l’ocre au bleu, des mauves des champs delavande aux verts et gris des oliviers, elle aquarelle, elle gouache, elle pastelle, elle fresque.

Ses feuilles mouillées sèchent leurs couleurs de vacances dans tous les coins de la maison et m’invitant à la balade où que je passe le torchon, épluche les pommes de terre ou tourne les pages de mes bouquins.

Ça sent bon le thym, le romarin et la marjolaine, ça sent bon l’été. En rêve. Et au plus elle peint, au plus le soleil se prend au jeu, réchauffe la terrasse et bronze mon gazon. Ce soir sous le parasol, ce sera salade du potager vinaigrette et huile d’olive, brochettes aux herbes et rosé de Provence, cuvée des Oliviers de Montfin.

Pour la première fois depuis longtemps, nous n’irons probablement pas dans le Sud cette année pour cause de virus mais nous voyagerons à coup sûr, d’ailleurs nous le faisons déjà, en pensée, en peintures et en billets.

* Marie-Thérèse a enfin créé sa page Facebook où elle publiera, quand elle y pensera, ses dernières aquarelles. Allez voir et si vous aimez, likez 😉 Marie-Thérèse-aquarelliste

De mon jardin à ceux de Miró

Le soleil est vif ce dimanche matin et il se prend pour Joan Miró. Sur le mur blanc de la maison, il s’est servi de l’ombre des tables basses comme d’un pinceau noir pour dessiner quelques arabesques ponctuées de taches rouges de géranium.

Je l’ai déjà écrit dans des billets précédents, mon jardin est un musée, ses coins d’ombre, ses parterres, son potager recèlent de véritables petits chefs d’œuvres éphémères pour qui sait ouvrir l’œil. L’art est dans l’œil de celui qui regarde (« Beauty lies in the eye of the beholder ») a écrit Oscar Wilde.

Assis sur le banc de la terrasse je regarde ces ombres et dans mon œil il y a soudain plus que de l’art, il y a du voyage. Je me revois jeune adulte ignare de ces choses et de ces artistes majeurs qui ont bouleversé notre époque. Oui, je me revois avec ma jeune femme qui m’a ouvert les yeux et baladé-guidé dans je ne sais combien d’endroits magiques et de musées durant nos vacances et des week-ends prolongés. Là maintenant, assis sur mon banc, je me retrouve en pensée à Saint-Paul de Vence, à la Fondation Maeght dans le labyrinthe de Miró, ce jardin extraordinaire où sont disposées dans une sorte de parcours-dédale une quinzaine d’œuvres monumentales spécialement conçues pour l’endroit.

Avec Marie-Thérèse et ma plus jeune fille Marie-Noëlle, nous nous promenons dans l’univers onirique, entre surréalisme et abstraction, de l’artiste qui dans sa jeunesse a déclaré vouloir « assassiner et violer » les méthodes conventionnelles de la peinture pour laisser cours à ses rêves, sa fantaisie, son humour. Sa gravité aussi. Comme un enfant, avec enthousiasme et naïveté, il trace des traits simples, peint des taches de couleurs vives, découpe et colle des morceaux de papier et « bricole » des maquettes qui deviendront des sculptures géantes de fer, de bronze, de marbre et de béton ou encore d’exubérantes céramiques. Nous ne faisons aucune différence entre le ciel bleu pétant, les plantes luxuriantes qui nous entourent, la lumière éclatante de Provence et les oiseaux, les lunes, les monstres et les fourches, symboles de la révolte des paysans durant la guerre d’Espagne, créés par Miró. Nous évoluons dans un « tout » imaginaire et irréel et pourtant si vrai, si tangible, si sensuel, si heureux.

Je me souviens de cette après-midi printanière dans ce jardin des merveilles comme étant un des plus beaux moments de ma vie. J’aurai le bonheur aussi de visiter plus tard le Parc et le Musée de Miró à Barcelone et de croiser d’autres de ses tableaux et réalisations dans d’autres temples de l’art. J’aurai à chaque fois des battements de cœur particuliers. Pour l’artiste, l’homme, ses œuvres et tout ce et ceux qu’il a inspirés.

Comme au printemps 2013, par exemple, mon petit-fils Awen qui dans le cadre d’un cours d’initiation à l’art moderne en 1ère année primaire, avait réalisé un portrait de son copain Eden à la manière de Joan Miró.

C’est « excepcional » comme des ombres sur un mur, un dimanche de soleil, peuvent inviter au voyage.

Quand dans mon jardin, le soleil se prend pour Joan et l’ombre pour Miró
Marie-Thérèse et moi – Fondation Maeght Saint-Paul de Vence – Février 1995
Marie-Noëlle – Fondation Maeght Saint-Paul de Vence – Février 1995
Dessin d’Awen, fils de Marie-Noëlle – Mai 2013